Débat sur la déclaration de politique générale du gouvernement
Intervention d’André CHASSAIGNE Mercredi 15 juillet 2020
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes chers collègues,
Prévue par notre Constitution, la déclaration de politique générale a aussi pour vocation d’être un marqueur historique. Mais, convenons-en, elle est devenue un rituel convenu, un « marronnier » médiatique disent même certains, d’autant plus formel aujourd’hui que la plupart de ses feuilles sont déjà tombées hier.
Le Président de la République vous a brûlé la politesse. Mais au-delà de cette inélégance, sa décision de s’exprimer avant même ce vote de confiance est une marque de mépris à l’endroit du Parlement. L’hypertrophie présidentielle de la cinquième République atteint des proportions jamais atteintes : un Président qui décide seul, un Gouvernement qui n’est qu’une méthode, un Parlement qui est humilié.
Après s’être placé dans le champ militaire, le Président de la République avait promis à la Nation « les Jours Heureux ». Cette référence oubliée depuis se voulait être le signe d’une prise de conscience au plus haut niveau de l’Etat, une prise de conscience sur l’urgente obligation de refonder l’action politique.
Les Français attendaient une suite aux promesses de métamorphoses. Leur aspiration était simple : écouter des propos à la mesure d’une crise sans précédent depuis 1945, des paroles à hauteur de l’audace du Général de Gaulle quand, avec les communistes, il a bâti le programme du Conseil National de la Résistance, toujours vivant dans l’esprit des Français.
Monsieur le Premier Ministre, rien de tout cela hier, rien de tout cela aujourd’hui.
Où est le souffle qui aurait pu marquer l’histoire de notre pays ? Vos deux expressions ne font qu’aggraver la défiance à l’égard du politique et de la démocratie. On ne ruine pas impunément les espoirs qu’un peuple met dans « un monde d’après » différent.
Le rideau devait s’ouvrir sur un acte 3. Il ne découvre qu’une mise en scène à peine renouvelée de l’acte 2. Il devait s’ouvrir sur une voie nouvelle, elle n’est qu’un chemin de débris alors que notre peuple attendait un chemin de semences.
Alors que chaque jour nos concitoyens doivent se débattre avec des préoccupations gigantesques, que les licenciements sont devenus la hantise quotidienne de milliers et de milliers de personnes, alors que la dépendance de la France dans tant de secteurs stratégiques a dramatiquement éclaté au grand jour, que l’horizon des jeunes n’a jamais été aussi fermé, que les économies des outre-mer menacent de s’effondrer, nous avons eu des discours qui fanent l’espérance. Au plein cœur d’une crise d’une ampleur inédite, plutôt que de penser à la prochaine génération, vous ne pensez qu’à la prochaine élection.
A peine teinté de quelques ajustements rendus incontournables, cet acte 3 ne rompt en rien avec la comédie dramatique imposée au peuple depuis tant d’années.
En ouverture de rideau, il est tout de même symptomatique que reste mise en avant la réforme des retraites, rejetée massivement par les Français et adoptée par notre Assemblée grâce à l’arme des faibles, le 49-3. Au nom d’une soi-disante justice sociale, vous en faites toujours l’une de vos urgences, malgré le très long conflit social que ce texte a provoqué et l’opposition aujourd’hui de tous les partenaires sociaux. Réduire les dépenses des retraites et aligner vers le bas les droits des retraités plutôt que de pérenniser et améliorer un système envié dans le monde entier ne relève assurément pas du gaullisme social. Sans aucun doute, le courage vous manque pour mettre à contribution les puissances financières qui elles ne manquent pas dans notre pays.
Quant aux scènes suivantes, elles sont aussi la simple reconduction de la même politique fondée sur la même idéologie.
Ainsi, pour répondre au mouvement des gilets jaunes, l’acte 2 avait mis en son cœur l’ambition écologique et la justice sociale. Dans les faits, cela s’est transformé en indifférence écologique et injustice sociale. Le jeu reste le même.
Hors de question pour vous d’annoncer l’abandon de la réforme de l’assurance chômage qui abaisse les droits des personnes privées d’emploi. Une réforme dont la seule ambition est de réaliser 3 milliards d’euros d’économies sur le dos des chômeurs qui vont, malheureusement devenir légions dans notre pays.
Quoi qu’il en coûtera à toutes ces victimes de la crise économique, aux précaires, aux jeunes qui vont payer un si lourd tribut, vous refusez d’inventer de nouvelles solidarités et d’élargir la protection sociale. Un RSA pour les jeunes de moins de 25 ans, une augmentation des prestations sociales et du Smic, auraient pourtant le double avantage d’éviter l’effondrement du pouvoir d’achat et d’être utiles économiquement.
Au cœur de la crise, votre remarquable innovation est de revenir aux contrats d’insertion de l’ancien monde, dont le paradigme a déjà inspiré toutes les dernières réformes gouvernementales.
Ainsi, au titre de son ambition écologique proclamée, le gouvernement précédent a patiemment œuvré à la démolition de notre système ferroviaire, au mépris des enjeux climatiques qui plaident pourtant en faveur du développement de transports en commun modernes. Devons-nous désormais croire des promesses don l’inanité est historiquement avérée ? L’acte 3 signera-il enfin l’arrêt de mort de la privatisation des aéroports, du démantèlement d’EDF et, plus généralement, de l’ensemble des outils publics indispensables à la conduite d’une politique cohérente et ambitieuse de lutte contre le réchauffement climatique ?
« Les Jours Heureux » aujourd’hui, c’est impérativement prendre soin de la planète. La politique budgétaire poursuivie depuis des années, et que la crise du Covid n’a pas infléchie, laisse songeur sur les chances de réussite de la “reconstruction écologique” que le Président de la République appelle de ses vœux.
Acte 2 ou acte 3, ce ne sont que des faux départs car, en réalité, le Président de la République ne sait pas, ne veut pas, ne peut pas rompre avec l’idéologie du tout libéral et la sacro-sainte compétitivité. Il lui en coûte trop de renoncer au monde d’hier.
Ainsi, la crise sanitaire que nous traversons a rappelé combien notre système public de sante ? est un atout précieux. Elle a aussi révélé ses failles, entretenues par des années d’austérité ? et de politiques libérales. Malgré cela, vous comptez persévérer dans cette voie périlleuse.
Nos professionnels de santé n’ont eu de cesse, et nous avec eux, d’alerter en vain les gouvernements successifs sur les dégâts de la réforme de la tarification à l’acte dont vous avez été, Monsieur le Premier Ministre, un des principaux promoteurs.
Quelques mois avant le déclenchement de la crise, le Président a même expliqué aux professionnels de santé qu’il n’avait pas de baguette magique. Il n’a pourtant pas hésité à leur demander d’en utiliser une pour faire face à la déferlante du Coronavirus. Privés de masques, de gels, de tests, de blouses, de respirateurs, ils ont néanmoins fait face, au risque de leur vie. Que proposez-vous aujourd’hui à ces héros du temps présent ? Une enveloppe de 8 milliards d’euros, bien en deçà des besoins du monde hospitalier. Tout juste un début de rattrapage et non un accord historique, Monsieur le Premier ministre. Combien de crises de cette ampleur faudra-t-il donc traverser pour que vous mesuriez combien nous avons besoin d’un service public hospitalier fort, libe ?re ? des logiques comptables et managériales, combien notre pays a aussi besoin d’un syste ?me de sante ? inde ?pendant, notamment dans le domaine du me ?dicament ?
Les « Jours Heureux » ? Et vous annoncez un plan de relance petits bras ! Les Français, les salariés, savent que cette promesse ne marche pas avec la doctrine où les richesses accumulées par les premiers de cordée ruisselleraient sur les premiers de corvée, auxquels vous faîtes du chantage à l’emploi pour justifier des baisses de salaires. Déjà exorbitante, votre politique de l’offre devient dangereuse en plus d’être inefficace. Alors que les salaires stagnent ou baissent et que le chômage va exploser, c’est tout simplement un contre-sens économique. Il faut au contraire soutenir la demande pour enrayer au plus vite l’augmentation de la pauvreté et de la précarité.
Votre « monde d’après » ne sera pas non plus celui de la justice fiscale, qui est pourtant la condition sine qua non de la solidarité et de la lutte contre les inégalités. Circulez, il n’y a rien à voir. On ne touche pas au grisbi, quoi qu’il en coûte pour les plus fragiles.
Quoi qu’il en coûte aussi pour notre politique industrielle si malmenée et pour tous les emplois détruits qui l’accompagnent, vous ne changez pas, là non plus, de logiciel. Si la succession des plans de soutien sectoriel annoncée dans les industries les plus touchées peut constituer des mesures de trésorerie utile, elle ne changera pas grand-chose si elle se limite à renflouer sans contreparties en termes d’emploi, d’engagement écologique et de souveraineté économique.
Quant aux annonces en matière de décentralisation, elles aggraveraient de façon abyssale les fractures territoriales. La délégation des politiques publiques au niveau local c’est oui, si elles sont accompagnées des moyens correspondants. Mais ce sera toujours non s’il s’agit, de réduire le périmètre d’intervention de l’État à l’heure où nous avons plus que jamais besoin d’un Etat stratège et protecteur.
Les Françaises et les Français sont meurtris mais lucides. Ils refusent que la belle espérance des « Jours Heureux » soit détournée au profit des seuls puissants. C’est pourquoi, nous refusons d’accorder notre confiance à votre Gouvernement. « Une nation engagée, unie et solidaire », ça ne se décrète pas, ça se gagne.